Dans l’atelier de Marie-Andrée Gill

Un texte de Marie-Andrée Gill

Si vous vous demandez où je suis maintenant,
c’est moi qui essaie d’écrire de quoi de beau avec
le mouillé de la zamboni

Chauffer le dehors, Marie-Andrée Gill

Il m’arrive de rencontrer d’autres personnes qui écrivent et de m’exclamer dans ma tête : «Ça c’est un(e) vrai(e) ». Je vois qu’elles et ils travaillent fort, jour après jour, page après page, font des grandes recherches sur leur sujet, déchirent des manuscrits, recommencent. C’est l’image que j’ai de quelqu’un qui écrit « pour vrai» : l’acharnement, la régularité. Bref être full sérieux.

Pourtant, je devrais me convaincre que ce que je fais est aussi vrai, et s’inscrit autant dans la réalité matérielle du travail du langage. Pourtant, mon processus est tout autre. Je trouve que ma pratique, surtout poétique, est de la même nature que faire une collection de roches comme quand j’étais petite : choisir la roche selon sa forme, sa couleur, son emplacement, la lumière du jour ou le contact avec l’eau et selon la personne du moment avec qui je suis et qui me prête sa sensibilité à regarder à sa façon.

Je fais exactement la même chose avec les mots. Ils sont tous là et je les cueille. Après je fais des alignements que je trouve beaux, selon mon mood et mon expérience présente. C’est comme un jeu : un casse-tête à inventer ou un questions-réponses à déchiffrer (sans y arriver vraiment).

Je pense que lire est aussi important que d’écrire. Donc je lis beaucoup. Pas mal plus que j’écris. Il m’arrive de croire que c’est par paresse que je lis, mais quand vient le temps d’écrire, les univers se sont formés quelque part dans la chair du cortex, quelque part dans mes émotions; en tous cas à un endroit que je ne sais pas nommer. Ce qui me motive c’est de lire de la poésie, des romans, des essais. Après avoir vu la collection des autres, j’ai envie de m’y remettre moi aussi. C’est un jeu de société. 

Mais c’est aussi répondre à un écho. C’est noter une partie de son être -au-monde, c’est faire sens, et le plaisir de le créer est plus grand que le désir de sa trace par la suite, je trouve. 

Je vois quand même mon écriture paresseuse, à côté de ceux que je pense des «vrais» travaillants du mot. 

Parce que pour moi, écrire c’est aussi simplement ne pas écrire. 

Ça l’air con, mais je le vis comme ça. Il faut vivre, se laisser imprégner. De la nature, des autres vivants, des expériences, de tout. Et travers ça, prendre des notes de ce qui nous pointe au cœur. Ensuite, si la tension est trop forte de beauté, de nostalgie, de tristesse, de colère, la laisser passer dans la méditation que procure le réarrangement de la collection de mots. C’est comme changer les meubles de place quand on est tanné : ramasser la poussière dans les coins en faire des sculptures, faire des peintures invisibles avec la moppe. C’est du travail mais c’est satisfaisant. Écrire, pour moi,  c’est prendre le matériau du vécu et en faire quelque chose qui peut ressembler à celui des autres, pour qu’on arrive à se rejoindre dans le langage, pour qu’on arrive à mélanger nos métaphores communes et en faire des couleurs accessibles.

En ce moment, le lieu de création où j’écris (ou pas), c’est ma yourte. 

Je me lève avec le froid, l’aube et le fjord, je déjeune avec la symphonie des scies-mécaniques et des ski-doos juste assez loin, juste assez proche.

Ça faisait quatre ans que la yourte était rangée, pliée dans un coin. J’ai créé ma chance : emprunté un terrain, callé des amis. Maintenant j’ai le privilège immense de vivre aux chandelles. Parce que oui c’est un privilège aujourd’hui de pouvoir s’extirper de tous les modes de communication qui nous aspirent comme des détraqueurs et qui moi, ne m’aident pas à écrire mais plutôt m’avalent ( je sais, on vit tous ça et j’ai envie d’écrire là-dessus mais je le ferai surement pas). 

Bref, je me suis créé le luxe ultime de notre époque : pas d’électricité, pas d’eau courante; juste le poêle à bois, les livres, le ski de fond et fendre des bûches. Seule. Mais les amis ne sont pas loin, une chance. Et mon appart avec ma laveuse-sécheuse n’est pas loin non plus, une chance aussi. J’ai besoin d’avoir tout mon espace, toute ma tête, ne pas être dérangée par tout ce qui clignote ou sonne. Malgré tout ça, je ne peux pas être à la yourte tout le temps : enfants, courriels, chat, douche chaude, etc. Alors j’essaie de faire ça chez nous mais ça me prend toute et je me sens paresseuse. 

Finalement, je n’écris pas si souvent. La plupart du temps, je vis, je parcours, j’aime, je lis et surtout je prends des notes et je fais ma collection. Et quand tout ça déborde de sens, je refais le tour de mes monticules, j’ajoute des roches ou les tire à l’eau, pour modeler une autre partie de monde que je palpe en moi, que je palpe de nous. 

* * *

Je me suis tentée sur le bord du fjord, à
quelque part de secret, où il y a pas de chemin.
Je tombe directement sur un phoque qui
danse dans l’eau à côté de moi. Je lui crie
SALUT BÉBÉ, il fait un méchant saut et
il s’en va.

Durant la nuit, aucun vent. Je me fais
réveiller par le souffle tranquille d’un
troupeau de bélugas. Leur respiration est une
berceuse nouvelle, un ménage d’immensité
et de grâce, et ce qu’on ressent exactement:
une gratitude étincelante, le mot merci en
néon qui flashe en haut de mes cheveux.

Au lever, de la brume épaisse et du soleil
dedans. La beauté du flou et de l’espace, les
nuances dans la voix de l’air. Je veux prendre
la brume pour ce qu’elle est, mais je peux
pas faire autrement que de voir une peinture mouvante,
irréelle, ponctuelle – un cadeau.

Je me touche, je lis, un écureuil essaie de me
grimper dessus – je suis une princesse Disney
en tabarnak. Je marche dans la forêt dense,
je m’égratigne partout et j’aime ça. Vraiment,
j’aime que mon corps se magne par le
hors-piste, qu’il ait des traces comme des
signes de fierté et d’autonomie, de force et
d’endurance. Dans ces moments-là, je suis
toute là, pas tuable – pas grand-chose
et totale à la fois.

Et ça me sort de ma vase. Plus je me
rapproche de la nature, plus je me sens
digne de sa voix, donc de la mienne.

Le dehors est la seule réponse que j’ai
trouvée au dedans.

Chauffer le dehors, Marie-Andrée Gill

* * *

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