Dans l’atelier de Mélodie Vachon Boucher

– Un texte de Mélodie Vachon Boucher –

Donner son nom à
une petite fille « sage »,
s’accumuler à l’intérieur d’elle-même

Se muer en livre

Taillée, cousue et fignolée

À portée de sa bouche, 2019

Sauf pour des oeuvres comme Nouneries (qui elles se font en courant, âme toute nue, dès que l’idée souffle dans son sifflet), mes premiers pas vers les récits sont très longs à faire. Alors que je ne vois pas même pas encore les contours de l’oeuvre à écrire, je dois trouver son point de départ et cette étape demande beaucoup de silence et d’immobilité. Beaucoup d’écoute. Et beaucoup de Foi. Parce que je crois à la nécessité de donner à chaque histoire ce qu’elle demande pour grandir, je m’efforce d’éviter de la tordre ou de la plier de force à ce que mon égo voudrait. Je la regarde plutôt dans sa globalité comme si elle était un paysage, un nuage ou une saison et j’attends.

Puis, je me mets à noter des idées pendant des semaines. Je n’écris pas, je ne dessine pas; je passe des mois entiers encimentée. Ou alors je remue à peine: je choisis des couleurs, j’en fais des taches et je copie le numéro des pastels à côté. Parfois, je prends mon auto et je vais passer quelques jours ailleurs. Il m’arrive aussi de commencer à apprendre une nouvelle forme artistique pour essayer de trouver le point de départ dans une partie de moi que je ne connaissais pas encore. Pendant la dernière année, par exemple, je me suis assise devant mon tour presque tous les jours et j’ai tourné maladivement de la vaisselle. J’ai regardé le mur. J’ai flatté mon chien. J’ai fait autre chose. Et en même temps, maintenant que j’explique que je faisais autre chose, j’ai l’impression que tout ce temps-là, je n’ai rien fait d’autre qu’écrire.

Tout ça finit éventuellement par devenir si grand et par prendre tellement de place en moi que j’arrive toujours à un point où j’ai besoin d’en faire des petites choses à classer. C’est à ce moment que je sors les « post-it », le « tape », et les crayons feutres. Puis, j’étends tout ce que j’ai sur un mur ou par terre et j’organise. Je mets en ordre. C’est là que les contours deviennent nets et que je comprends enfin où ça commence et où je m’en vais.

(Travail d’un scénario pour une adaptation, Résidence d’écriture au Centre Arteles, Haukijärvi, Finlande, octobre
2019)

(Travail d’un scénario pour une série de romans graphique pour adolescent à paraître chez Monsieur Ed. À l’automne 2021, Résidence d’écriture au Centre de production en art actuel Les Ateliers, Baie Saint-Paul, août 2021)

J’utilise ensuite le logiciel Scrivener pour compiler mes notes, rédiger et rassembler les références visuelles dont j’aurai besoin pour dessiner. Aussi, j’aime regarder le récit sous forme de carte à l’occasion, alors j’utilise l’application Mindmup pour m’aider à tisser le fil du récit.

Puisque le roman graphique a deux niveaux d’écriture, le lexical et le pictural, l’exercice de souplesse d’esprit pour pouvoir prendre le bon angle sous la bonne lumière rend le champ des possibles deux fois plus infini: Quelle couleur s’avèrera être plus évocatrice que tel mot? Quelles formes résumeront parfaitement telle idée? Quelle émotion sera mieux décrite avec la sensibilité d’un trait qu’en mots? Et, au terme de cet exercice: Quels mots seront si justes dans leur forme lexicale qu’ils finiront sur la page finale tels quels?

Chaque fois que je dois retourner m’asseoir devant la table à dessin pour commencer une histoire, une peur complètement absurde et dévorante me prend aux tripes: Et si je ne savais plus dessiner? Alors je m’invente des jeux graphiques pour réapprivoiser mes outils; je commence par seulement quelques minutes par jour. L’enthousiasme et la confiance reviennent toujours plus vite que prévu et je me mets rapidement à avoir énormément de plaisir à m’installer pour travailler.

Quand je sais que je dois avoir une cadence de production assez rapide et régulière, je me force à travailler en suivant un horaire basé sur des cycles d’une heure et demie chronométrés: 10 minutes de nouneries (des dessins complètement déjantés et spontanés pour désacraliser l’acte de dessiner), une heure de travail de dessin sur l’ouvrage à avancer, et une pause obligatoire de 20 minutes pour aller marcher, faire une sieste, lire, etc. C’est une méthode très efficace qui me permet d’arriver à faire entre 3 et 7 pages par jour, selon la complexité des illustrations à produire pour accompagner le texte.

Pendant ce travail de production, j’ai tellement besoin que l’histoire devienne un objet que j’imprime en format vignette, au fur et à mesure de mon travail, les pages découpées et/ou réalisées. Je les colle dans l’ordre sur des carrés vides représentant les pages à produire accrochés sur un mur afin de voir le rythme de mes plans et d’avoir le plaisir de voir le projet avancer.

Bref, j’ai toujours l’impression de recommencer à zéro. Comme si je n’avais jamais rien raconté, jamais dessiné. Chacun de mes livres est le premier livre que j’écris, même si je sais de plus en plus comment faire.

(Case d’une histoire parue dans le numéro 17 de la revue Planches)

Pour vous procurer les oeuvres et livres de Mélodie Vachon Boucher, consultez son site web.

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