Ce recueil de poésie force à penser la littérature québécoise dans le lent déplacement qui s’observe, depuis le début des années 2000, d’une littérature migrante, migratoire et toutes fenêtres ouvertes sur l’extérieur, vers quelque chose de plus profondément ancré dans notre expérience locale du monde. Il s’agit évidemment d’une certaine généralisation, mais force est d’admettre qu’en lisant le recueil de Tania Langlais, ce qui m’appert évident, c’est la transformation de notre paysage poétique, le traitement des images qui s’est décalé, comme si l’oeil ne se posait pas, il y a vingt ans, sur les mêmes objets qu’aujourd’hui. D’aucuns diront que c’est bien normal, à prévoir, à espérer, même, et que l’humain pré Word Trade Center, pré médias sociaux, pré crise écologique (passons sur les drapeaux rouges levés depuis les années cinquante) n’observait pas son environnement de la même manière.
Douze bêtes aux chemises de l’homme a cependant été une expérience de lecture singulière pour moi, car je suis surtout familière avec la poésie de l’extrême contemporain, et plus encore avec celle de 2015 à 2020. Cette impression d’entrer dans un autre temps du texte, alors que le recueil a été écrit il y a vingt ans seulement, m’a décontenancée, car l’effet de distance et le constat de proximité se heurtaient fortement.
.jpg)
©awlhelmy 2020
Narrative – en ce sens qu’on effleure une trame claire, qu’il ne s’agit pas que de thèmes qui transpercent vaguement le texte, mais une intrigue qui évolue tout au long du recueil –, cette oeuvre m’a semblé un appel au voyage, à la liberté, à l’ailleurs, que les narrateurs ne savaient pas suivre. La femme, ses robes, les tissus: tout ce qui est en mouvement fuit.
cette fille avait toujours
LANGLAIS, Tania. Douze bêtes aux chemises de l’homme. Montréal: Les Herbes rouges, p.27.
des idées dans la voix
balancées parmi ses robes
à qui passait chercher l’envers
ces chambres littorales ou truquées
parfois aussi elle couchait son calme
sur quatre draps de promesses espagnoles
lentement dénouait ses rubans
pour y attirer ma chute
comme on ouvre l’enclos
de sa meilleure bête
Je n’ai pas lu encore Pendant que Perceval tombait, le tout nouveau recueil de Tania Langlais, publié après douze ans de silence. Je suis curieuse d’y voir quelle place joue le territoire étranger – l’Angleterre en l’occurrence – et d’observer si le traitement de l’espace est encore comme un étonnant voyage. Et, plus largement, en ces temps où l’ailleurs est brusquement passé du très proche au très lointain, j’ai hâte de voir de quel côté cela tirera la poésie.
.jpg)
DOUZE BÊTES AUX CHEMISES DE L’HOMME
Autrice: Tania Langlais
Éditeur: Les herbes rouges
Année de parution: (Première édition) 2000