Perrine Leblanc

 

Le tricot fait appel à la mémoire musculaire. Les idées vont et viennent, comme l’inspiration, à mesure que le travail à l’aiguille progresse et que l’étoffe se forme sous mes doigts. Je fais des nœuds, des jours, des augmentations, des diminutions ; je change de couleur, de point et de direction ; je fais et défais des lignes dans le motif ; j’avance dans la pièce à tricoter comme je développe une idée de roman sur papier ou à l’écran. Je crée du tissu avec deux aiguilles à laine, et ce travail à la main imprime sa marque sur le corps, engendre parfois des douleurs. L’écriture fait la même chose au corps. Après une longue séance de travail, je peux avoir mal au cou, à l’épaule, aux poignets, au bas du dos, à la main droite. Le travail manuel met le corps au défi, mais les idées circulent grâce à la répétition du geste et au chapelet de mailles formées. Je suis traversée par un courant, une intuition, une émotion, une idée à développer, et je fabrique un châle, une étole, un pull en me branchant sur la même fréquence esthétique que le livre à composer et la belle maison ancestrale maganée dont je suis copropriétaire avec mon amoureux.

 

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Chloé Savoie-Bernard

 

Et lorsque je reviens des déplacements, lorsque je dois retourner à mon clavier, à mes textes, lorsque je remets mon sentiment d’inutilité crasse face à la douleur du monde devant ces livres que je continue pourtant d’écrire (je me dis si souvent que j’aurais dû devenir travailleuse sociale, avocate, quelque chose qui sert à quelque chose), je sais que je place mes mots comme la vie place ces objets, dans des ballets que je veux inédits et accidentés, parfois vulgaires, je les veux vrais, poignants, ridicules, grandiloquents et parfois fragiles, prêts à renversés par une bourrasque. Je les veux comme la petite tomate que j’ai vue une fois à côté d’une fleur tombée sur le sol de rocaille. Je veux mes mots comme les trois bouts de balai qui entouraient un tronc d’arbre. Je les veux inscrits dans la réalité, mais un peu à côté de ce qu’on attend de moi. Je les veux baroques, gracieux, anachroniques, aliens.

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Karoline Georges

 

Au début de mon exploration photographique, j’ai chorégraphié le corps nu de mes amies en surlignant par des jeux de lumière et par l’usage d’un noir et blanc très contrasté la beauté des paysages biologiques composés de cicatrices de toutes sortes, où cellulite et vergetures formaient des dentelles au creux de la peau. En examinant les marques sur les corps que je photographiais, en les embrassant d’une manière picturale, je cherchais à me reconnecter avec le mien, à faire la paix avec mes propres cicatrices. Ma quête du sublime n’était pas qu’un simple sujet de réflexion, c’était une manière de créer. La photographie en noir et blanc me permettait de dégager les linéaments de mes sujets, d’en extraire la quintessence poétique ; je voulais écrire de cette manière, aussi.

 

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Nicole Brossard

 

Pourquoi ce besoin urgent d’ouvrir mon cahier de notes, de sortir mon stylelapsus de son étui, ce stylo acheté amoureusement il y a neuf ans dans une boutique du boulevard Saint-Germain. Pourquoi tant de vouloir écrire sans savoir de quoi sera faite la phrase? J’avais spontanément pris le stylo, aimé la torsion en synchronie des poignets et des mains pour dévisser le capuchon. Depuis, je traçais des lettres à une vitesse dont j’avais toujours rêvée imaginant que j’étais dans une chambre d’hôtel et que pendant trois jours et trois nuits j’écrivais sans interruption, attentive au crissement de la pointe du stylo, bel animal au bout de mes pensées, observant les coups de rature vive, les glissades, les temps morts d’indécision et ce silence pudique s’ouvrant et se refermant sur des intentions de phrases. Cela jusqu’à ce que deux hésitations successives laissent ma main droite en suspens pendant cinq secondes. Je dis cinq car c’est un chiffre précieux qui symbolise tout à la fois le nombre, l’harmonie, l’équilibre, les cinq sens et les cinq formes sensibles de la matière. C’est ce que j’avais lu dans mon précieux Dictionnaire des Symboles acheté en 1969. Les dictionnaires ont de tout temps suscité en moi un désir d’extravagance et d’exploration comme une peau d’ours blanc attire vers le Grand Nord.

 

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Marie-Andrée Gill

 

Il m’arrive de rencontrer d’autres personnes qui écrivent et de m’exclamer dans ma tête : «Ça c’est un(e) vrai(e) ». Je vois qu’elles et ils travaillent fort, jour après jour, page après page, font des grandes recherches sur leur sujet, déchirent des manuscrits, recommencent. C’est l’image que j’ai de quelqu’un qui écrit « pour vrai» : l’acharnement, la régularité. Bref être full sérieux.

 

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Mélodie Vachon Boucher

 

Sauf pour des oeuvres comme Nouneries (qui elles se font en courant, âme toute nue, dès que l’idée souffle dans son sifflet), mes premiers pas vers les récits sont très longs à faire. Alors que je ne vois pas même pas encore les contours de l’oeuvre à écrire, je dois trouver son point de départ et cette étape demande beaucoup de silence et d’immobilité. Beaucoup d’écoute. Et beaucoup de Foi. Parce que je crois à la nécessité de donner à chaque histoire ce qu’elle demande pour grandir, je m’efforce d’éviter de la tordre ou de la plier de force à ce que mon égo voudrait. Je la regarde plutôt dans sa globalité comme si elle était un paysage, un nuage ou une saison et j’attends.

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MArie Demers

 

J’écris vite. Mille mots en quelques heures. Des fois davantage. J’entends protester: « Ben, ça doit être pourri, d’abord ! » Oui, mes premières versions sont absolument nulles à chier. Des pages aux plaies purulentes. Heureusement, je suis médecin! Infirmière. Préposée aux bénéficiaires. Je sais soigner mon texte. Tranquillement. Avec dévouement. Il m’arrive de passer des heures sur une blessure de quelques mots ou une seule phrase contaminée. Souvent pour finir par amputer, simplement.

 

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Noémie Pomerleau-Cloutier

 


Si on me demande ce que je fais dans la vie (cette question qu’on devrait remplacer par qu’est-ce que tu aimes dans la vie, qu’est-ce que tu es dans la vie), jamais je ne vais répondre poète en premier. Je vais répondre que je suis formatrice en alphabétisation populaire, que je travaille avec des personnes qui ont le courage extrême de prendre la deuxième, la troisième, la quatrième chance par les cornes pour apprendre à (mieux) lire et à (mieux) écrire à l’âge adulte. Car non, savoir bien lire et bien écrire au Québec, réussir des études au Québec, ce n’est pas donné à tout le monde. Car non, le système scolaire n’est pas fait pour tous et toutes et car oui, y naviguer en gardant la tête hors de l’eau est un privilège. Puis, je répondrai qu’aussi, accessoirement, j’écris de la poésie.

 

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PROJET SUBVENTIONNÉ PAR LE

WILHELMY.AUDREE@OUTLOOK.COM