Beaucoup de choses me rendent heureuse ces temps-ci. Il y a le bonheur privé, bien sûr, qui supporte tout et gorge le quotidien de douceur, mais je ressens aussi une grande satisfaction personnelle, nourrie par mille projets. Que ce soit ma formation en impression artisanale, la redécouverte de la linogravure, le tricot, la couture, la peinture, l’horticulture (j’ai des semis de tomates et de poivrons splendides, assez pour garnir les jardins de mes soeurs, mes tantes et mon amoureux, en plus du mien…), l’enseignement, la rédaction de mes demandes de bourses et le début de mes nouveaux projets d’écriture ou ce site lui-même, qui me permet de vous faire découvrir le travail d’autres artistes sur une base régulière: mes projets me nourrissent et m’enchantent.
Quelques-uns l’ont soulevé lors de mes récents partages sur les médias sociaux: je pense qu’une partie de ce bien-être, de cet apaisement, vient de mon rapport de plus en plus affirmé à la matière. Fabriquer des objets en transformant les matériaux bruts, me nourrir tout l’été à partir de semences qui tiennent à 200 dans le creux de ma main, voir naître de la fonte du plomb chaque lettre de chaque mot, et d’un long fil de laine un vêtement qui me protège du froid : tout cela me fait un bien immense.
On m’a diagnostiqué il y a deux ans un trouble d’anxiété généralisée, « avec d’excellents mécanismes de contrôle », d’après mon psy, mais présent depuis probablement ma naissance (il faut voir mes doigts tordus de stress, mes membres qui s’enroulent sur eux-mêmes dans les photos de mon enfance, pour bien le visualiser…). Or, j’ai l’impression que le déménagement à la campagne, et surtout, surtout ce rapport aux choses, au tangible, contribue fortement à m’apaiser, me centrer (le tout combiné à une médication adéquate dont je ne veux pas minimiser l’importance, mais qui seule, ne fait pas de miracles).
Je devinais bien, dans mes romans, cette importance du tangible. J’écris sur des femmes qui ne sont que ça: tangible, intuitive, dans le rapport continuel à la matière, et toujours dans une sorte de fluidité où elles en viennent à être la matière qu’elles transforment ou habitent. Cela m’aura tout de même pris quinze ans avant de comprendre que cette paix des mains, des gestes, était transférable, applicable à moi comme à elles, et à imprimer dans mon corps, ce que je savais pourtant déjà d’instinct.
Je ne pense pas que ces éléments soient nécessairement des bouées pour tout le monde. Je ne crois pas que le grand salue de l’humanité repose dans le jardinage et le tricot, mais prendre le temps de sentir les choses, de sentir qu’on est maître de soi et qu’on a une capacité de transformation sur la matière, cela me semble un réconfort extraordinaire, et certainement le plus grand apprentissage, pour moi, de cette étrange temporalité dans laquelle nous évoluons présentement.