Pendant mon cégep, je travaillais en librairie, dans le rayon jeunesse, principalement, et la section BD de la Campaniloise, petit paradis maintenant fermé. Mes payes disparaissaient en bonbons (oui oui, pas en alcool, pas en drogue, mais en sucre brut, des montagnes et des montagnes de sucre), en cartes d’appel (mon amoureux habitait Toronto) ET en albums illustrés. Avec les 30% de rabais que nous avions en tant qu’employés, j’achetais des livres magnifiques, qui me renversaient de beauté. Je n’avais toujours pas décidé, à l’époque si j’étudierais pour devenir illustratrice ou écrivaine, et ce contact privilégié avec des livres qui mettent de l’avant la relation entre les mots et les images a assurément été la prémisse de mon parcours ultérieur.
À cette époque, donc, j’ai entrepris une collection de livres illustrés pour-enfants-mais-pour-adultes-en-même-temps. J’en achetais au moins un par paye, et tranquillement je me suis retrouvée avec un rayon de livres splendides dans ma chambre. (Le propriétaire de la librairie s’était même mis à commander des albums à ses représentants pour que je les achète ensuite.) Le tout premier ouvrage de cette collection a été le livre Princesses oubliées ou inconnues de Philippe Lechermeier, illustré par Rébecca Dautremer. Et je suis tombée éperdument amoureuse des dessins de Dautremer.
J’ai continué de peindre et dessiner pendant tout mon baccalauréat. D’une façon qui me semble terriblement impolie aujourd’hui, mais qui était d’un naturel infini à l’époque, je m’installais dans mes cours de littérature avec ma peinture, mes pinceaux, mon godet, mes grandes pages de papier aquarelle et je faisais des illustrations pendant mes cours. Je ne m’assoyais même pas à l’arrière, et je participais activement au cours (bien plus que bien des gens qui étaient sagement assis à ne rien faire), simplement je travaillais en même temps à illustrer l’aventure de quatre princesses qui aidaient un dragon-porteur-d’hiver à se déprendre d’un rocher. J’imagine que les professeurs comprenaient que ce travail manuel, pas tellement différent du tricot, de la couture ou de la broderie qui occupent souvent mes mains aujourd’hui, aidait à ma concentration plutôt que de lui nuire.
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Mais revenons à Dautremer (les détours que je prends…). J’ai toujours continué d’acheter ses livres et de m’émerveiller de la progression de sa pratique. Son Cyrano, entre autres, m’a profondément émue, et sa version illustrée de Soie m’a fait l’effet de coup de poing, parce que j’ai découvert tout à coup tout le potentiel des livres illustrés pour adulte. C’est d’ailleurs fortement resté dans mon imaginaire, et j’ignore encore si je ne me lancerai pas un jour dans l’illustration d’un de mes textes, pour en accompagner la publication.
Alors quand j’ai vu la splendide version que Dautremer a illustrée du classique Des souris et des hommes, j’ai été renversée. Publié par la maison Alto, le livre regorge d’illustrations plus épatantes les unes que les autres. La palette de couleurs, dans les tons de rouge brûlé, principalement, sert efficacement l’intrigue et génère une tension opportune en regard de l’histoire. L’alternance entre les esquisses, les illustrations pleine page, les portraits… tout est magnifique, bien dosé et pertinent dans ce livre.
Je l’ai répété souvent, L’Atelier ne se veut pas un site de critiques littéraires. Si je vous raconte tout ça aujourd’hui, c’est parce que ce livre joue présentement un rôle dominant dans ma démarche d’écriture. Ou plutôt dans le fait que je me suis remise à dessiner, beaucoup, et que cela a une incidence sur ma pratique rédactionnelle. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas sorti mes crayons à colorier et mon aquarelle pour le plaisir. Les premiers dessins qui serviront de prémisses à l’écriture de La Sauvagine prennent tranquillement beaucoup de place dans mes cahiers. Ce retour à l’image, particulièrement dans la période pré-écriture d’un roman, est extrêmement important pour moi, et il me tarde de discuter davantage de ces images avec vous.