L’onomastique

Je suis devant l’écriture de La Sauvagine comme devant une partie de Risk. Avec des armées à déplacer, les mouvements du lecteur à anticiper, et dans l’exercice de le prendre à revers, de l’amener ailleurs, là où il n’attend pas le texte. C’est un travail neuf dans ma pratique d’écriture « professionnelle », qui me rappelle les grandes sagas que j’imaginais pendant mes cours, au secondaire. Retrouver cette écriture « stratégique », ludique, me fait un bien fou et me replonge dans ce que la fiction incarnait pour moi à ses (mes) débuts: un espace de liberté, d’invention, de détournement.

Il arrive cependant que je sois ma principale adversaire et que, devant le plateau de jeu, je bloque sur un élément simultanément essentiel et dérisoire, et que l’ensemble de l’écriture en soit désorganisée. Des aspects du texte m’échappent à moi-même et il me faut alors trouver des stratégies afin de contourner les barrières dressées par mon propre cerveau. Ces derniers mois, l’une des résistances que je rencontre concerne l’onomastique, et plus spécifiquement le nom de ma protagoniste.

Les noms des personnages sont d’une importance capitale dans mon imaginaire: ils doivent être suffisamment singuliers pour contribuer à créer un univers hors du réel, mais suffisamment diversifiés pour ne pas ancrer cet univers dans une culture ou un imaginaire spécifique. (J’ai d’ailleurs un carnet très précieux dans lequel je collige des noms depuis 2017. Il croît progressivement, et j’y précise l’usage des noms au fur et à mesure que je les emploie.)

Une page du carnet des noms

Le baptême des personnages peut survenir de différente manière, selon la façon qu’ils ont de surgir. Il arrive souvent que les protagonistes révèlent leur nom tandis que je les dessine, pour les autres, cela survient en cours d’écriture, selon des critères qui relèvent généralement de la nécessité, tout simplement.

Ma plumeuse d’oie, protagoniste du roman que je suis en train d’écrire, n’a toujours pas de nom, au bout d’un an de tergiversation. Je ne parviens pas davantage à la dessiner. Elle m’échappe, sur tous les plans.

Récemment, j’ai réalisé que le nom et l’apparence de cette femme m’échappaient car elle échappe aux autres protagonistes. Oracle, Pythie, elle est protéiforme. Chaque personnage projette sur elle les aspects les plus intimes, secrets, de lui-même. Peut-être, alors, que le roman peut la garder anonyme. Ou plutôt, peut-être que chaque personnage peut la nommer/la surnommer à sa guise. Cela semble anecdotique, peut-être, mais sur le grand plateau de jeu de cette fiction, c’est un mouvement latéral, en apparence inoffensif, mais qui transforme la manière de penser et prévoir le reste de la partie.

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