Lecture: La maison est vivante

Dedans dehors
©awilhelmy, 2020

Avant toute chose, je veux expliquer que je ne ferai pas de critiques de livres. Il me semble que l’acte de lecture en est un éminemment personnel, et l’appréciation d’un même texte varie tellement d’un individu à l’autre que je serais bien en peine de vous conseiller quoi que ce soit. L’objectif de cette chronique est plutôt d’interroger de quelle manière la lecture transforme l’écriture. 

Ce que j’aime particulièrement dans un livre, c’est tenter de percevoir le rôle qu’a joué le projet dans la vie et la définition identitaire de son auteur. Des mois, souvent des années ont été nécessaires pour effectuer ce passage de l’intérieur vers l’extérieur, et il me semble fascinant de tenter de retrouver les traces de ce mouvement dans les textes des gens. On sent souvent, entre le début et la fin d’un texte, une transformation dans la voix, l’assurance, l’audace de la narration. Ce n’est pas systématiquement maladroit, loin de là, c’est au contraire à peine perceptible, souvent masqué aux yeux de l’écrivain même. Souvent le texte ouvre des portes dont l’auteur ignorait même l’existence, avant de se lancer dans le texte. Ces transformations me fascinent. J’imagine qu’il faut y voir une sorte d’obsession : tout mon Exercice de vulnérabilité ne tente-t-il pas de déterminer à quel moment les mots cessent d’être une ombre surgit quelque part en soi pour devenir, enfin, un matériau malléable ? Comme dans ma propre démarche, je cherche dans le travail des autres ce moment de bascule entre le temps du Ça et le temps du texte. Et je cherche parallèlement à savoir de quelle façon ces mots écrits par d’autres me transforment, moi.

J’ai l’hypothèse que l’art littéraire (rassemblons ici lecture et écriture) s’adresse à deux aspects de nous-mêmes simultanément. La part consciente de notre cerveau, et sa part inconsciente. Je crois que les mots les touchent en même temps et de manière distincte. Ainsi l’être rationnel qui lit la mort d’une femme dans une chasse à coure (comme on en voit une dans Les Sangs) est-il horrifié, choqué, perplexe ou dégoûté, alors même que l’inconscient de ce lecteur peut-être attiré, fasciné, happé par la morbidité de la scène dans un mélange d’effroi et de délectation. Et ces deux réactions, à première vue incompatible, peuvent survenir en même temps, sans contradiction réelle l’une envers l’autre.

Qu’il est étrange, donc, d’ouvrir cette chronique avec l’ouvrage pluridisciplinaire La Maison est vivante, d’Emmanuel Simard (texte) et Nicolas Lévesque (photos). J’ai commandé ce recueil de poésie au début du confinement, dans le moment suspendu où j’attendais de pouvoir entrer dans ma maison, achetée quelques semaines plus tôt, mais disponible seulement à la mi-mai. J’aimais le titre. La maison est vivante. Il me semblait que ma future maison était vivante aussi et qu’il y avait là, dans ce livre où l’image et le texte sont en constante conversation, quelque chose à apprendre pour réussir à bien parler de mon lieu à moi. Drôle de réflexe, un peu trompeur, que de se fier au titre d’un ouvrage pour en projeter le propos. 

Je dis étrange, car j’ai l’impression que ce livre est arrivé après que j’en aie eu besoin. Étrange encore, car tous les éléments que je mentionnais plus tôt par rapport aux possibles que la lecture ouvre en soi ont été court-circuités ici. Je demeure étonnée, comme si j’avais assisté à un dialogue entre mon univers littéraire et celui d’Emmanuel Simard. Un dialogue dont nous aurions été, en quelque sorte, absents tous les deux, et qui se serait déroulé dans nos mots mais hors de nous. Un peu comme en rêve, on voit une marionnette bouger, agir à notre place, et qui est nous sans l’être. Il est vraiment très difficile de décrire cette impression.

Il ne s’agit pas d’un imaginaire commun à proprement parler. Les motifs qui habitent mon monde et ceux à l’oeuvre dans ce texte ne sont pas les mêmes. Les pulsions, la violence, l’érotisme, l’amoralité et la marginalité – tous essentiels dans la construction de mes oeuvres – n’est pas centrale dans ce recueil. Il y a pourtant, dans La Maison est vivante, de nombreuxéchos formels, thématiques et stylistiques qui rappellent la voix de Daã, la protagoniste de Blanc Résine. Publiés la même saison, et donc, on peut l’imaginer, rédigés à peu près au même moment, les deux textes se répondent sur les sujets de la filiation, de l’enracinement au territoire, de la mémoire. 

Je n’ai plus le verbe ni le vocabulaire des renards, carnassiers et ventrus; c’est moi, aussi simple que le linge lavé sur la pierre noire, aussi discret que le souffle blanc des rives.

Je suis né de plusieurs ventres, de mères et de grands-mères avec des carêmes heureux dans les poches et dans le coeur. Je cherche des légendes, des pères qui me lèguent un peu de cendre et de magie invoquent d’un chant furieux l’école du feu.

Emmanuel SIMARD, La maison est vivante, Montréal: Poètes de brousse, 2019.

Il est curieux de penser qu’au même moment, quelqu’un que je ne connais pas explorait, en empruntant le même lexique, les mêmes mécanismes narratifs, des sujets qui lui sont chers, qui lui sont propres. Cette lecture est donc moins de celles qui ouvrent de nouvelles portes que de celles qui permettent de penser l’acte d’écrire dans ce qu’il a de très personnel, mais également de collectif, de partagé. Elle est de ces lectures qui consolident certaines positions, certains choix esthétiques. L’inclusion des photographies de Nicolas Lévesque ouvre cependant une fenêtre, celle d’un jour écrire un texte (peut-être recueil de poésie, qui sait ?) dans lequel se côtoierait production photographique et production poétique, deux formes d’arts qui m’habitent sans faire partie de ma pratique principale. Si je publie un jour un tel recueil, La Maison est vivante aura définitivement joué son rôle dans la mise en branle du projet. 

La maison est vivante, couverture.

LA MAISON EST VIVANTE

Auteur : Emmanuel Simard. Avec les photographies de Nicolas Lévesque

Éditeur : Poètes de Brousse, Collection Enluminures

Année de parution : 2019

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