Retrouver l’espace du jeu

Un éditeur, c’est un partenaire d’affaires, un ambassadeur pour nos livres, un gardien de fond, mais c’est aussi, souvent un guide, un mentor, et un patient orfèvre des mots. Je reviendrai souvent sur le travail éditorial, parce qu’il m’appert essentiel, déterminant et transformateur. J’ai toujours travaillé en collaboration avec mon éditeur tout au long de la rédaction de mes romans (plutôt que d’envoyer un manuscrit achevé), et les projets à venir ne seront pas différents de ceux passés.

Pour mes quatre premiers romans, ce sont la patience et la méticulosité de Pascal Brissette (homme de tous les chapeaux: professeur à l’université McGill, éditeur et directeur du Centre de recherche en études montréalaises) qui m’ont permis d’avancer et de développer mon univers, ma prose et ma posture d’écrivaine. Pour (au moins) les deux romans à venir, Pierre Filion (directeur de Leméac et éditeur notoire) sert de guide. Ces collaborations sont plus que de simples contrats éditoriaux, et j’apprends que le travail d’un bon éditeur n’est pas seulement de publier de bons livres, mais d’accompagner ses auteur.es tout au long de leur vie littéraire.

Cet aparté (qui sert aussi d’introduction aux discussions que je rapporterai parfois, entre Pierre et moi) me permet d’aborder une conversation que nous avons eue cette semaine et qui me semble illustrer adéquatement ce que je cherche à dire en parlant « d’accompagner les auteurs dans leur vie créative ». 

Je parlais avec Pierre de l’énergie que certains événements – professionnels ou personnels – réclament, et du besoin de ressourcement rapide afin de pouvoir les enchaîner sans perdre de forces vives entre chacun d’eux. Je lui disais que l’écriture était finalement un lieu énergisant particulièrement lorsque « ça fonctionne ». 

Dialogue paraphrasé de l’échange qui s’ensuivit. 

P. – Est-ce que tu écris seulement pour que ça fonctionne? 

A. – Quand j’écris, je «travaille» tout le temps. Je m’immerge dans mon monde. C’est quand les mots surgissent et se mettent en place que je me sens le mieux. Quand je peux les manipuler. Ils sont un matériau qui rend tangible ce qui m’habite dedans. 

P. – Mais tu n’écris jamais pour rien? 

A. – Pour rien? 

P. – Pour toi?

A. – Chaque fois que j’écris, j’écris pour moi. 

P. – Est-ce que tu fais de l’écriture automatique? Tiens-tu dans tes carnets des pages de textes libres, qui ne sont pas celles de tes romans, qui ne répondent pas à des codes, des obligations, des effets recherchés? Te donnes-tu à toi-même, à toi seule, l’espace des mots, chaque jour, un peu? 

Force est d’admettre que non. Je me souviens pourtant avec délectation du plaisir que j’avais à écrire au Cégep, au baccalauréat, dans mes cahiers, mes agendas, des phrases, des vers qui côtoyaient les notes de cours, qui surgissaient et se dissipaient sitôt écrits. Pour me reposer d’une conférence publique, d’un cours, d’une rencontre, Pierre me recommande de prendre l’habitude d’écrire chaque jour, quelques minutes, librement. Je me suis prêté à l’exercice toute la semaine, et puisque j’ai dit que je partagerais certains extraits de carnets, je joins à cette publication l’une des pages que j’ai noircies cette semaine. J’avais oublié la liberté de la langue et la joie brute de la laisser jaillir, naturellement, sans contraintes. J’avais envie d’en parler avec vous car je pense que cette écriture affranchie donnera naissance, éventuellement, à toutes sortes de scènes romanesques, et qu’elle teintera nécessairement mes textes publiés également. Pas activement, pas de manière dirigée ou volontaire, mais simplement parce que les mots qui apparaissent encore ensauvagés offrent un accès plus direct à la pulsion derrière le texte, et que c’est cette pulsion-là, par-dessus tout, qui m’intéresse. 

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